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L’individualisme a changé le monde

Cet article a été publié précédemment sur mon ancien blog.

Le plus grand changement qui s’est opéré dans nos vies et dans celles des générations qui nous ont précédées a été le passage du groupe à l’individu.

Pourquoi les gens sont-ils beaucoup moins tournés vers la religion aujourd’hui qu’il y a 100 ans ? Pourquoi de plus en plus de personnes préfèrent-elles se créer une spiritualité personnelle, en dehors des groupes établis ?

Pourquoi plus les gens sont jeunes, plus ils acceptent que chacun puisse définir sa propre identité ? (plus de 2 % des jeunes de la génération Z se définissent comme transgenre, 3,3 % comme « non binaires », contre respectivement 0,1 % et 0,8 % des baby-boomers).

Pourquoi la vie en mode «digital nomad» a-t-elle fait rêver tellement d'entrepreneurs du web ?

Pourquoi y a-t-il autant de dépressions ces temps-ci et tellement de gens qui disent souffrir de solitude ?

Pourquoi est-ce que tellement de livres best-sellers proposent-ils tous plus ou moins le même projet : « définis ta vie par toi-même », « trouve la force qui est en toi », « ignore ce que disent les autres : ce qui compte, c’est toi » ?

Pourquoi le développement personnel est-il un domaine qui a cartonné pendant des décennies ?

Pourquoi les gens ont-ils quitté les campagnes ?

Pourquoi les jeunes passent-ils davantage de temps chaque semaine à discuter sur leur smartphone plutôt qu’en réalité ?

Pourquoi se marie-t-on de plus en plus tard et pourquoi a-t-on moins d’enfants qu’avant ?

Tout simplement parce qu’on est passé d’une vie en groupe à une vie individuelle.

Chaque génération qui passe tient de plus en plus à pouvoir faire ses propres choix. À mesure que le temps passe, chacun se définit de plus en plus comme un individu à part entière, qui peut tout décider pour lui, plutôt que comme un membre d’un groupe qui le ferait à sa place (comme la famille, le cadre traditionnel, une religion, etc.).

Dans tout ça, il y a du bon, mais aussi du moins bon :

On est tous d’accord pour dire que la solitude et les problèmes de santé mentale qui affectent les jeunes générations sont à regretter. Tout comme le manque de repères dont souffre une bonne partie de la population.

Pourtant, on est (presque) tous heureux de pouvoir définir notre mode de vie de façon libre, de faire des choix qui ne sont pas dictés par une caste, un milieu social ou des traditions.

Pour le reste, certaines conséquences sont jugées positives par certains et négatives par d’autres… Sans qu’on puisse caser tous les « pour » et tous les « contre » ni à gauche ni à droite, d'ailleurs : ça transcende l’échiquier politique traditionnel.

Il faut se rendre compte que c’est la technologie qui est le moteur de ce changement :

Les machines qui ont permis de se libérer des tâches ménagères ont donné lieu à la possibilité pour les femmes de choisir leur propre destin (à l’époque, rien que laver les vêtements d’une famille prenait souvent une journée entière… sans parler de tout le reste).

Le smartphone permet de vivre n’importe où, tout en restant en contact avec des gens qui partagent nos intérêts. Il permet aussi de trouver des personnes avec qui on a des affinités, en dehors des structures traditionnelles (famille, voisinage, travail).

Je suis bien placé pour avoir constaté que le web permet aussi de s’extraire de son milieu social, de l’avenir qui était tout tracé pour soi et même de son propre pays : le fait de gagner ma vie sur le web m’a permis d’avoir une existence complètement indépendante des groupes dont j’aurais dû faire partie s’il n’avait pas existé.

Il est donc difficile de répondre à la question : « Tout ça est-il positif ou négatif ? »…

Parce qu’on en a tous bien profité, soit en vivant du web, soit en se créant une vie qui sort du cadre, soit en se libérant des attentes de son milieu social, ou même, tout simplement, en ne tenant pas le même rôle ni en exerçant le même métier qu’un homme ou une femme du XIXe siècle.

Et aussi parce que c’est un mouvement qui est à l’œuvre depuis plusieurs siècles, dont le rythme s’est accéléré lors des dernières décennies et qui n’est pas près de s’arrêter.

Mais pour autant, on ne doit pas se voiler la face et refuser de voir ses côtés négatifs.

Beaucoup des combats d’idées qu’on peut voir dans la société aujourd’hui ne sont rien d’autre que des conflits entre ceux qui préfèrent aborder un sujet précis sous l’angle du groupe et d’autres qui préfèrent l’aborder sous l’angle de l’individu.

Qu’on parle d’entrepreneuriat ou de genre, de féminisme ou d’écologie, de crypto ou de naturopathie, les deux camps sont toujours séparés par la même question :

L’un défend l’approche de groupe, traditionnelle, mais qui limite la liberté individuelle ;

L’autre défend l’approche individuelle, celle qui permet à chacun de se définir et de faire ses propres choix.

Mais, comme tout ce qui est nouveau, cela a parfois des conséquences négatives difficiles à prévoir.

Ce qui est intéressant, c’est que souvent, une personne qui défend l’approche de groupe sur tel sujet défendra l’approche individuelle sur un autre et vice-versa.

Bref. Il n’y a pas de morale de l’histoire, pas de conclusion, pas de message à transmettre. C’est juste une observation. Une observation cruciale pour comprendre le monde dans lequel on vit et les évolutions qui ne font que commencer…

Plus la technologie nous permet de faire des choses par nous-mêmes, moins on a besoin des groupes. Plus on fait nos propres choix, plus on se distancie des structures existantes.

C’est bien agréable, bien sûr, d’avoir sa propre liberté… jusqu’à ce qu’on se retrouve isolé, déprimé et en perte de repères.

Je cite l’excellent livre  Generations  de Jean M. Twenge, qui m’a ouvert les yeux sur ce sujet (je traduis ce passage de l’anglais) :

« Bien que l’individualisme ait beaucoup d’avantages, il fait courir le risque d’isolement et de la solitude non choisie, dont les conséquences sont le malheur et la dépression.

Ce ne sont pas de bonnes fondations pour une santé mentale épanouie : les humains ont besoin de relations sociales pour vivre une vie heureuse et accomplie.

C’est particulièrement vrai lorsque l’on parvient à l’âge adulte et c’est probablement la raison pour laquelle les Millenials (génération Y) étaient heureux quand ils étaient adolescents, mais sont devenus des adultes malheureux.

L’individualisme et la liberté sont agréables quand on est jeune, mais vides quand on prend de l’âge.
»

À chacun de se faire un avis là-dessus, mais je recommande vivement la lecture du livre en question.


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Jean Rivière.