L'approche du Cro-Magnon forcené
Bienvenue dans la série « Réinventer l'efficacité ».
Je vais t'envoyer les e-mails suivants au fil des jours :
✉️ E-mail 1 :
L'approche du Cro-Magnon forcené : une autoroute vers le burn-out (c'est celui d'aujourd'hui, que tu es en train de lire...) ;
✉️ E-mail 2 :
La voie de l’éternel débutant : travailler à l’inspiration, ça ne fonctionne pas (tu le recevras demain) ;
✉️ E-mail 3 :
La course a la productivité a failli me détruire : mon histoire (ce sera l'e-mail d'après-demain) ;
✉️ E-mail 4 :
Mes solutions pour être efficace tout en restant serein (tu recevras cet e-mail dans trois jours).
Et si tu le souhaites, tu auras l'occasion de suivre encore une autre série d'e-mails ensuite, qui détaillera chacune des stratégies que je recommande.
On commence donc avec l'approche Cro-Magnon :
L'approche du Cro-Magnon forcené : une autoroute vers le burn-out
« Lève-toi à 4 h du matin. Prends 5 douches froides par jour. Travaille le week-end. Arrête de voir tes amis. Sacrifie ta famille et tes enfants.
Ne prends surtout pas une journée pour penser, un moment pour rêver, ni une heure pour te faire plaisir.
Et si tu n’es pas encore millionnaire, c’est que tu es un lâche. Un faible. Une loque. C’est que tu n’as pas travaillé assez dur, que tu ne t’es pas forcé suffisamment. »
Ça, c’est ce que j’appelle l’approche du Cro-Magnon forcené :
Cette approche du travail peut donner des résultats… quand la tâche en question consiste à casser des pierres avec un gourdin ou à creuser un trou avec un silex.
Mais pour les entrepreneurs, les créatifs, les inventeurs et les auteurs… C’est-à-dire dans tous les métiers dans lesquels la prise de recul, la profondeur, la maturation d’idées et la créativité sont essentielles, elle est tout à fait contre-productive.
Pire : elle consiste à transformer son existence en une vie qui ressemble de très près à celle d’un mineur de charbon du XIXe siècle.
Donc, MÊME si les résultats financiers sont au rendez-vous, on aura échoué à se construire une vie riche et intéressante.
Et plus on prêche cette approche primitive du travail, plus on mène les gens au burn-out. D’ailleurs, c’est un drame dont on ne parle pas assez :
Ce que beaucoup de personnes ne savent pas, c’est qu’il faut souvent PLUSIEURS ANNÉES pour se remettre d’un burn-out !
Mais ce n’est pas tout : cette façon de travailler mène aussi à l’isolement, à la désocialisation, à l’agressivité (parce que tout ce qui freine ta productivité sera abordé comme un obstacle, y compris tes enfants, ton mari ou ta femme, ton équilibre personnel, et même ta joie de vivre).
Quand on est toujours pressé, quand on essaie d’en faire toujours plus et de se pousser davantage, on a aussi tendance à réfléchir à très court terme : l’usage de la force contre soi-même, le stress et l’empressement déclenchent un état psychologique qui s’appelle l’hypervigilance.
Et l’hypervigilance nous rend combatifs, anxieux et focalisés sur le très court terme. Parce que quand on est dans cet état, on est constamment en train de scanner notre environnement pour y déceler les risques potentiels et cela devient extrêmement difficile de se concentrer sur autre chose.
(Johan Hari explique ce phénomène dans son excellent livre Stolen Focus (en anglais) : c’est un ouvrage que je recommande).
Il est quasiment impossible de prendre du recul et de faire preuve de profondeur quand on est hypervigilant. Et donc, lorsqu’on fait face à un problème, on essaye de le résoudre par l’action immédiate, au lieu de prendre un moment pour réfléchir.
Et de cette façon, on a tendance à s’enfoncer de plus en plus, à mesure qu’on fournit des efforts :
Quand on est embourbé en voiture, plus on appuie sur l’accélérateur en espérant que ça nous aide à sortir de l’ornière, plus on s’enfonce encore dans la boue, et plus il deviendra difficile par la suite de s’en dégager.
L’approche Cro-Magnon du travail pose le même problème : beaucoup de créateurs redoublent d’efforts lorsqu’ils n’obtiennent pas les résultats qu’ils espéraient. Ils appuient et appuient encore sur l’accélérateur.
Comme ils ne pensent qu’à très court terme parce qu’ils sont en état d’hypervigilance, ils lancent un nouveau produit sur le même modèle que celui d’avant, qui n’avait pourtant pas marché. Ou bien ils redoublent d’efforts sur leurs techniques de vente.
Mais comme ils ne réussissent pas à prendre le recul nécessaire, ils n’arrivent pas à identifier leur vrai problème, qui est parfois lié à un mauvais positionnement, à un manque d’humanité, à un excès d'arrogance ou encore à une incompréhension des désirs profonds de leur audience…
Pour aider des entrepreneurs depuis plus de dix ans, j’ai vu cette situation plusieurs centaines de fois. Et à chaque fois, l’entrepreneur en question est incapable de voir le vrai problème, même quand on lui pointe du doigt. Il continuera à s’enfoncer, encore et encore, tout en détruisant sa vie de famille, son équilibre personnel et tout ce qui s’ensuit...
Jusqu’à être forcé d’abandonner au moment exact où il n’aura plus rien d’autre que son travail, puisque sa femme ou son mari l’aura quitté, qu’il n’aura plus aucun cercle social ni vie personnelle…
C’est terrible d’en arriver là : être obligé d’abandonner son projet parce qu’après des années d’efforts surhumains, rien ne marche… et se retrouver tout seul au milieu d'un champ de ruines parce qu’on aura tout sacrifié pour ce même projet….
Malheureusement, c’est une situation courante : c’est même la conclusion la plus commune et la plus logique de l’approche du Cro-Magnon forcené, qui est pourtant vantée partout sur les réseaux sociaux.
Les gens qui se retrouvent à la fin de ce cycle sont essorés comme des éponges. Ils sont vidés. Ils sont cassés. Ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Et ils deviennent souvent des fantômes, qui sombrent dans le désespoir, la solitude et les addictions.
C’est ça, la triste réalité qui se cache derrière la plupart des contenus de « motivation ».
Le problème, c’est que l’approche du Cro-Magnon forcené est basée sur une idée fausse :
Cette idée, c’est qu’on peut résoudre tous les problèmes par la force et que, si on n’y parvient pas, c’est qu’on a été trop faible et qu’il faut se pousser davantage.
Pourtant, la civilisation humaine s’est construite sur la base de découvertes qui ont permis, justement, de transcender de la force :
L’invention de la roue, de la poulie ou du moteur, par exemple. Ou encore la découverte de l’électricité…
Et on voit bien autour de nous que les gens qui réussissent leurs projets sont des personnes dont la créativité, la prise de recul, l’ingéniosité et l’intelligence leur ont servi bien davantage que la force brute.
Mais le problème, c’est que si on fait l'inverse et qu'on travaille juste quand on a envie, « à l’inspiration », on n’arrive souvent pas à construire quelque chose de solide, et on se retrouve avec 15 projets de front, chacun à moitié commencé, et aucun qu’on arrive à terminer.
Ce sera le sujet du second e-mail de cette série, que tu recevras demain et qui est intitulé :
« La voie de l’éternel débutant : travailler à l’inspiration, ça ne fonctionne pas ».