La fausse promesse de l'I.A.
La fausse promesse de l'I.A., c'est qu'en la laissant écrire à notre place, notre travail deviendra plus facile et plus agréable.
Alors que dans les faits, c'est l'exact opposé qui se produit :
Si on l'utilise pour écrire à notre place, elle transforme notre travail en une véritable torture.
Je m'explique :
La partie la plus plaisante de n'importe quel projet d'écriture, c'est la partie créative.
C'est la partie qui consiste à jouer avec des idées, à trouver les mots justes, à chercher des analogies ou des comparaisons qui sonnent bien...
Et la partie beaucoup moins plaisante, celle qui est une torture pour la plupart d'entre nous, c'est celle qui comprend la correction, l'édition, la relecture et la mise en forme…
Le problème est donc le suivant :
En utilisant l'I.A. pour écrire à notre place, on se prive de la partie de notre travail qui aurait pu nous apporter le plus de satisfaction…
Pour se retrouver à la place à passer son temps sur des corvées : relire des textes pondus par un robot, en enlever des parties et en ajouter d'autres, s'épuiser à créer un patchwork entre les réponses données par une I.A. à plusieurs prompts successifs, relire encore, puis modifier et modifier encore, jusqu'à ce qu'on obtienne un texte qui nous corresponde à peu près et que l'on juge publiable.
En d'autres termes, on SUPPRIME la partie plaisante de l'écriture… Et, en contrepartie, on passe PLUS DE TEMPS sur la partie déplaisante.
Utilisée de cette manière, l'I.A. nous prive donc de toute la joie, de toute la fierté, de toute la satisfaction et de tout le sentiment d'accomplissement qu'aurait pu nous apporter notre pratique créative…
Elle nous fait renoncer à un métier libre et épanouissant — celui de créateur — pour un métier servile et rébarbatif : on devient le LARBIN D'UN ROBOT, qui édite, qui met en forme et qui corrige.
Il n'y a plus rien de profond dans cette pratique-là. Plus rien qui puisse fournir de fierté. Plus de satisfaction d'avoir fabriqué quelque chose de beau ou d'utile avec sa propre tête et son propre cœur.
Plus de connexion réelle avec notre audience non plus, puisqu'on n'est plus qu'un intermédiaire qui met en forme puis qui diffuse des textes que n'importe qui aurait pu générer en cliquant sur un bouton…
Quand on pratique l'écriture profonde et qu'on a une bonne méthode, on peut souvent rédiger 1 000 à 1 250 mots en 20 à 30 minutes par soi-même, sans I.A.
Est-ce qu'il est plus satisfaisant d'écrire par soi-même pendant 20 à 30 minutes, puis d'avoir entre les mains un beau texte dont on peut être fier...
Ou bien est-ce qu'il est plus satisfaisant d'éditer de façon fastidieuse, de mettre en forme et d'adapter ce que nous a pondu un robot pendant la même durée ?
C'est ça, la vraie question qu'il faut se poser.
Tout ça amène forcément à devoir faire un choix un jour ou l'autre :
Est-ce qu'on veut être un créateur ?
Ou est-ce qu'on veut être le larbin d'un robot, qui passe son temps à modifier des textes pondus par une I.A. ?
En plus de nous priver de la partie la plus intéressante de notre métier pour nous reléguer à un rôle de simple éditeur et « metteur en forme », cette façon d'utiliser l'I.A. peut aussi provoquer une perte de sens :
Quand on ne peut plus s'approprier ses contenus, quand on ne sait plus vraiment quelle partie d'un de nos textes a été générée par un robot et quelle partie vient de notre tête ou de nos tripes… est-ce qu'on peut vraiment avoir la satisfaction d'avoir créé quelque chose qu'on peut pleinement s'attribuer ?
De quelles parties de nos textes est-ce qu'on peut vraiment être fier ?
Image : un chien déguisé en licorne. Il ressemble à peu près à un texte pondu par une I.A. qu'on essaye ensuite de faire passer pour un article authentique, en passant des heures à l'éditer.
Tout ça n'empêche pas que l'I.A. puisse rester utile dans certains domaines.
Et là où elle est a VRAIMENT une utilité, c'est justement lorsqu'on s'en sert pour faire l'INVERSE de ce pour quoi elle est couramment utilisée :
C'est à dire quand on l'utilise pour l'édition, la correction et la mise en forme.
C'est la façon dont je m'en sers aujourd'hui : au lieu d'éditer moi-même des textes que je lui aurais demandé de rédiger, je l'utilise pour qu'elle édite les miens.
Voici comment je procède :
J'écris ces lignes, comme tous mes autres textes, de façon déconnectée, sur une machine à écrire moderne équipée d'un écran e-ink. Et comme d'habitude, j'en rédige le premier jet d'une traite, sans interruption, en utilisant un plan papier que j'ai placé à la gauche du clavier.
J'ai commencé à écrire cet e-mail il y a 23 minutes : ça ne m'a pas pris la journée entière…
Dès que j'aurai terminé ce premier jet, je le synchroniserai avec mon compte Dropbox, sur lequel il sera récupéré automatiquement par un service d'automatisation (Zapier), puis envoyé à une I.A. qui corrigera les fautes de frappe, les erreurs de grammaire et la ponctuation. Et quand ce sera fait, l'automatisme placera à son tour la version corrigée sur mon compte Dropbox, et je n'aurai plus qu'à la vérifier demain, à ajouter quelques images et du gras.
J'utilise donc l'I.A. non pas pour remplacer mon travail de création… mais au contraire, pour remplacer la partie la plus rébarbative de mon métier : l'édition.
S'en servir de cette manière, ça permet de libérer plus de temps et d'énergie pour écrire davantage de VRAIS textes, plus de temps et d'énergie pour jouer avec des idées…
C'est à dire plus de temps et d'énergie que l'on peut consacrer à la partie la plus PLAISANTE du process créatif.
Malheureusement, la plupart des créateurs ne pourront jamais aborder l'écriture de cette façon-là, parce qu'ils sont tellement paralysés par le perfectionnisme que la création de n'importe quel texte leur prend généralement un temps fou.
Pour eux, rédiger un article par eux-même représente un projet énorme, une vraie montagne, et ça leur demande parfois une journée entière d'écrire un texte dont ils seront assez satisfaits pour s'autoriser à le publier.
Ces créateurs-là, ils sont en danger aujourd'hui, parce que leur perfectionnisme les pousse à créer des textes fades sur des sujets convenus. Et ce genre de textes, ce sont exactement ceux que l'I.A. est capable de pondre en masse…
Ils ont donc beaucoup de souci à se faire s'ils ne changent pas leur façon d'aborder l'écriture.
Parce que l'approche « scolaire », analytique et perfectionniste de la rédaction n'a plus aucun avenir dans le contexte actuel.
Ce sera le sujet du prochain e-mail de cette série, que je t'enverrai demain et qui s'appelle :
« De l'écriture scolaire à l'écriture créative ».